Dire que j'aimerais tant concocter de beaux livres avec de belles étiquettes et les aligner en rangs d'oignons sur l'étagère, bien calés entre les bocaux de marmelade de quetsches et les pêches au naturel.

Même s'il n'y a personne pour les lire, parfaitement. (Ch. 15, p.174-175)



Je suis écrivainte. Voilà ce que je suis.

Pas écrivain tant que je n'ai pas de lecteurs, et je n'en aurai peut-être jamais. Pas écrivaine, non, je suis trop vieille pour adopter ce mot étrange… !

Ecrivainte. À Thiers ou à Faugères, c'est ainsi qu'on appelait la petite fille qui aimait bien écrire, celle qui avait été première en rédaction au Certificat, par exemple : « elle fera écrivainte ! » ou bien la vieille demoiselle qui envoyait de belles lettres à ses amies de pension : « une vraie écrivainte, celle-là ! » Et puis, au lieu de rimer avec vaine, comme écrivaine, écrivainte rime avec sainte et je pense que j'en mérite bien l'auréole quand j'écris ou tape pendant des heures avant de tout jeter piteusement à la corbeille, comme je l'ai fait hier. (Ch. 6, p.55)


vendredi 29 mai 2009

Un blog juste pour moi

Un beau lieu cette page toute neuve, et inspirant à souhait… espérons-le, du moins !
Bien apte, en tout cas, sinon à y répondre, du moins à me poser des questions.
Interviewons-nous donc sur le champ.
Quel délicieux passe-temps que de parler de soi avec soi ! Que de bénéfices pour l’ego !

Les questions de la rédaction :

— Pourquoi se met-on un jour à écrire quand on a déjà fait tant de choses de sa vie qu’on pourrait penser que ça suffit comme ça,
quand arrivent les petits-enfants tant souhaités et bien-aimés,
au temps des soirs paisibles,
aux heures où l’on se devrait d’être au conseil municipal de son village ou au comptoir des restaus du cœur, ou à plein d’autres endroits politiquement plus corrects à un Certain Âge,
à l’âge justement d’être camping-cariste, sudokiste ou macraméïste ?
— En fait, ça vous tombe dessus sans crier gare.
Un beau jour.
On a porté ça en soi depuis toujours.
Sans savoir.
Toute une vie…
Et puis ce beau jour, tout d’un coup ça devient trop lourd (et je ne parle pas d'inspiration, son aile ne m'a jamais effleurée ! je parle de réplétion !). Alors il faut bien accoucher.
Et justement on a le temps. Le temps qui a manqué toute la vie est enfin là, à disposition. On peut. Plus d’excuse. C’est quand le temps qu'on a rencontre le temps passé et le temps qui passe… À condition que le temps qu'il fait ne soit pas trop beau sur le jardin, mais ça, c'est une autre histoire !


— Et ce beau jour, c’est facile d’accoucher ?
— Un accouchement, ça n’est jamais facile, ça non ! Quoiqu’en dise Marianne, qui se vante, comme tous ses Monery (voyez p.49 !). Oui, il faut être un peu maso pour écrire… Les musiques, les rythmes, les mots ne sont jamais ceux qu’on veut, il faut se bagarrer avec eux et on en sort souvent K.-O. Et puis inventer une histoire ça prend drôlement la tête !


— Pourquoi écrire alors si c’est si pénible ?
— Ces mots que je croyais savoir manier, je voulais m’en servir pour donner vie : faire revivre des lieux que j’ai aimés, des gens…
L’imagination, la lecture qui la suscite ont été deux grands bonheurs de ma vie.
Les images que l’on porte en soi, il vient un jour (ce beau jour…) où elles demandent à être déposées, à laisser trace. Il vient un jour où il devient impératif de les fixer, de leur donner une vie autonome qui permettra de les transmettre.
Elles se mettront alors à vivre leur vie. Mais resteront pourtant si imparfaites… Quelle frustration !
C'est de cela que parle Marianne dans le chapitre 12 ( page 115) :

Et puis voici qu'au moment d'écrire, alors que foisonnent les images, qu'elles accourent toutes à la fois pour m'éblouir, je me sens inapte et comme indigne. L'écriture est un si pauvre outil ! Les mots que j'aime tant me font défaut ou me paraissent dérisoires, les miens en tout cas. Pourquoi les dieux qui m'ont donné le don de bien voir ne l'ont-ils pas accompagné de la faculté de transmettre ce que je sais voir par la peinture ou le dessin ? Quelle frustration !
Je voudrais être peintre. Je voudrais être ceux que j'admire, Turner, Corot, Cézanne… pour donner à voir les lumières que j'ai aimées. Car comme celles des étoiles éteintes, elles ont traversé les années pour venir jusqu'à moi.


Les paysages, les lieux, les lumières, je suis allée les chercher dans mes vies, celle d’hier, celle d’aujourd’hui.
Mes beaux paysages lisses du Val de Loire. Les jardins de mon enfance à « douce souvenance ». La farouche et revêche beauté de Thiers la coutelière.
Cadres pour ma fiction.
Le thème du souvenir me hante. Et le passage du temps. Quand on ne peut admettre que se recouvrent dans l’instant la fulgurante présence de certains souvenirs, leur tangible réalité, et la conscience du néant dévoreur auquel appartient désormais cette réalité…
Proust le dit si bien, beaucoup mieux que ça, bien sûr. Mais c’est ce qu’on ressent tous, non ?
J’aime aussi ce qu’en dit André Hardellet, un poète trop peu connu du XXe siècle. Essayez de trouver son magnifique essai sur le temps qui passe : Donnez-moi le temps (Julliard, collection idée fixe).

— Et les gens alors ? Et, accessoirement, question tarte à la crème du type : Flaubert a dit « Madame Bovary, c’est moi »… Alors ?
— L’homme de ma vie ne s’appelle pas Louis mais fait des chansons comme lui. Je lui écris parfois des paroles. J’aime bien encore (je peux bien le dire, car je n’aime plus du tout les couplets !) un de mes refrains :
J’entends des fois
Passer des gens
Passés déjà
Depuis longtemps.
Bien sûr que lorsqu’on se veut écrivainte, on se sert des gens qu’on a connus pour en nourrir ses histoires.
Le personnage d’Irène a beaucoup emprunté à ma propre grand-mère. Et Louis ressemble à mon musicien, comment le cacher ? D’autres ont existé, comme le Vieux Pépé ; d’ailleurs l’histoire de la soupe est bien réelle.
Maintenant, Marianne Monery est-elle moi ? Oui pour la Marianne du « bon présent », elle m’a beaucoup piqué : mon homme et ma tribu, mon jardin-ma maison, mes états d’âme jardiniers et pas mal de mes manies. Même mon anniversaire : j’en ai fêté un dans les affres de l’écrivage et ça m’a amusée de raconter la fête.
Pour ce que j’appelle « la complainte du triste passé », la Petite, avec son regard dévoreur, son addiction à la lecture et son aptitude à se faire la belle en douce du côté des nuages, me ressemble aussi, bien sûr. Son histoire, c’est… une autre histoire !

— Et tout le reste ? L’histoire justement ? Elle est un peu glauque parfois l’histoire, non ?
— Pour « le reste » ? Il faut bien, quand les écrivaintes écrivent, qu'elles rentabilisent un peu leur débordante imagination. Laissons-leur ce privilège.
J’ai voulu construire une histoire autour de ce thème du souvenir qui me fascine.
Les souvenirs, les rêves qui les ramènent parfois à la conscience, l’oubli et la mémoire qui revient, le jeu incessant des allées et venues entre présent et passé, passé et passé plus lointain, ce jeu où l’on se perd parfois en transformant, en déformant, en prenant pour le temps les broderies du temps.
C’est à ce jeu-là que se prête Marianne.
Je l’ai voulue fragile, certes, bien empêtrée dans la vie, et effrayée par les combats qu’il faut mener contre elle. J’ai voulu aussi qu’elle sache pardonner, car c’est ce qui lui permettra justement d’affronter le monde qui la terrorise.
J’aime les gens bienveillants, et même indulgents. Ce sont eux qui font la vie douce et permettent aux pauvres cœurs malmenés de battre enfin au rythme qui leur est bon.

— Dernière question, qui aurait pu être la première, sur le titre. Écoute-moi, je suis la Reine… c’est quoi ce titre bizarre ?
— Suspense, suspense ! Il faudra attendre l’épilogue pour comprendre. C’est une phrase entendue dans un rêve étrange par Marianne. Ses rapports si douloureux avec sa mère s’en trouveront éclairés. En référence également au rêve de la fin, le roman s’est appelé longtemps Les Yeux de l’abeille. Et c’est vrai que le regard tient une grande place dans cette histoire… Mais avec celui-ci, Écoute-moi…, toujours bien sûr pour jouer à l'écrivainte, je me suis amusée à sacrifier à la mode des titres longs !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire